Le Conseil d'État dans la continuité de son mouvement pragmatique vient renforcer la sécurité juridique du contribuable de manière tangible dans un domaine très sensible, celui des prêts entre sociétés.
Après l’article publié par notre Cabinet au sujet de l’acceptation par le juge administratif du marché obligataire comme référentiel en matière de taux d’intérêts appliqués à des prêts entre sociétés liées, le Conseil d’État par un arrêt du 11 décembre 2020 n°433723 – BSA – nous offre une position inédite dans un domaine connexe, celui de la notation financière.
Pour mémoire, il est fréquent dans les groupes de sociétés que des flux de trésorerie – souvent des emprunts de plus ou moins longue durée – viennent palier le besoin de fonds de roulement d’une filiale ou d’une société sœur, surtout depuis les assouplissements dits loi Macron.
Le point saillant de ces opérations est toujours la notion de déductibilité des intérêts servis, puisque l’argent coûte.
L’idée maîtresse qui guide l’administration fiscale afin d’éviter les abus est de demander à l’entreprise prêteuse ou emprunteuse – souvent au cours d’un contrôle fiscal – de justifier de la «normalité de marché» du taux pratiqué comparativement à une offre bancaire classique.
Or, la granularité de l’analyse financière menée par les établissements de crédit ou par des fonds d’investissement ou obligataires est extrêmement fine.
Au rang des critères d’analyse il est d’usage de trouver sans exhaustivité, la taille, les capitaux propres, les analyses de BFR et plus généralement de trésorerie, les analyses d’immobilisations et plus globalement les études relatives au rendement interne des actifs de l’entreprise mais aussi la qualité des équipes dirigeantes, l’attractivité du secteur d’activité, l’engagement social ou environnemental ou encore la sensibilité politique ou le risque de réputation lié aux bénéficiaires économiques ultimes.
À notre époque, dans notre monde hyper connecté et instantané nous pouvons affirmer sans risque qu’une entreprise qui fait commerce d’armes ou dont l’activité est celle de police privée ne recevra pas le même accueil financier de la part d’un institutionnel qu’une entreprise engagée dans le bien-être ou les énergies renouvelables. Deux facteurs à cela, d’abord le risque propre à chaque secteur d’activité qui doit être quantifié, a priori il y a moins de risque à vendre des canapés ergonomiques user-friendly plutôt que des grenades de désencerclement ; second facteur l’appétence et le capital sympathie de l’opinion publique envers des entreprises dont l’activité est en ligne avec l’environnement ou l’homme plutôt que la stricte recherche de profit.
Nous pouvons donc admettre que lorsqu’un établissement financier ou un fonds se positionne, le taux d’intérêt proposé est sur mesure puisqu’une analyse précise qui se rapproche des « rating » des agences de notation a été menée.
L’administration fiscale en accord avec les règles de l’OCDE admettait le recours aux agences de notation comme alternative à la présentation d’une offre de crédit classique dite de “marché”.
En pratique, les agences de notations restent inaccessibles à la plupart des entreprises qui ne sont pas déjà des institutionnels.
Le Conseil d’État dans la décision BSA envoie un signal fort à l’attention de l’administration fiscale et du contribuable en autorisant le recours à des logiciels de « scoring » afin de calculer des taux d’intérêts opposables aux services fiscaux.
Les logiciels de « scoring » utilisent de grandes quantités de données et font appel à l’analyse quantitative afin de produire un résultat de solvabilité duquel peut être extrapolé un taux d’intérêt.
Jusque-là rien de très novateur, il convient néanmoins de souligner qu’une telle analyse abstraite ne prend en compte que des critères financiers et statistiques purs et exclut de fait une partie des critères évoqués plus haut liés notamment aux personnes et au secteur d’activité.
L’arrêt rapporté pose comme nouveauté la possibilité pour l’entreprise de faire appel à un logiciel de statistique abstrait où elle remplit elle-même les données idoines sans l’intervention d’un tiers viseur et sans que cela ne fasse obstacle à ce que le résultat tiré soit opposable à l’administration, qu’il puisse dès lors revêtir la même valeur qu’une offre classique de crédit dite de “marché”.
La seconde nouveauté de l’arrêt tient à ce qu’à notre sens le Conseil d’État récompense en filigrane l’effort de transparence fait par l’entreprise en acceptant qu’une granularité d’analyse inférieure – inhérente à la technique du « scoring » – soit contrebalancée par le fait que l’entreprise n’ait pas accès au moteur de l’application ni ne puisse en modifier les paramètres, plus spécifiquement les ratios comparatifs utilisés par le logiciel pour aboutir à un résultat.
Il est essentiel de noter que dans le cas précis qui nous occupe, l’entreprise a d’une part, construit précisément le taux d’intérêt retenu en additionnant -taux fixe, taux variable et taux d’annulation – et d’autre part, qu’elle a, en plus d’avoir alimenté le logiciel avec ses données comptables, pris le soin de comparer aussi les clauses particulières des contrats de crédit et leurs conséquences.
Le juge administratif semble continuer d’avancer en accordant toujours plus de valeur à l’opérationnel et aux bonnes pratiques de sorte qu’il réassure le contribuable face à un risque fiscal qu’il ne devrait pas courir du fait d’une doctrine administrative par nature restrictive.
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